3. Quelques soupçons...

     Depuis quelques temps, l'ambiance est pas folichonne à la maison. Entre Casus qui fait la tête et moi qui fais la tête parce qu'il me fait la tête, c'est pas vraiment joyeux. On en est rendu à faire déjeuner à part, manger chacun de notre côté sans rien se dire. Remarquez, vu comme il baffre, je suis pas mécontente de m'éloigner un peu parce que quand il utilise sa fourchette, c'est pour faire pleuvoir la bouffe tout autour de lui. Mais je me doute bien que c'est pas en se faisant la gueule que ça va arranger notre problème. J'ai beau lui ce qui ne va pas, il met le mode "répartie de gonzesse" ON et répond :

     - Rien du tout.

     Rien du tout, rien du tout. Non mais j'suis pas dupe, mon p'tit père ! Je vois bien que tu penses à un truc particulièrement troublant pour en arriver à m'oublier. Y aurait une gonzesse là-dessous que ça m'étonnerait pas.

     Et mes soupçons ne cessent de croitre quand je le découvre pendu au téléphone toute la journée. Et vas-y que j'te papote, et vas-y que j'te rigole ! C'est pas avec moi qu'il est aussi joyeux, ça je vous l'affirme. Et ce qui m'énerve, c'est que j'arrive pas à savoir si l'interlocuteur est une fille ou pas. Il pourrait pas mettre le haut-parleur ? Au moins je serais fixée. Nan, mais allez pas croire que je suis jalouse comme une vieille pie, c'est pas ça... encore que... par moments... C'est juste que c'est déjà difficile de trouver un mec par les temps qui courrent alors forcément, quand on en a un, on a pas envie de le voir filer avec une blondasse à forte poitrine et au cerveau aussi rempli qu'une bouteille vide.

     Ca fait déjà un bon bout de temps que je parle à Casus d'avoir un p'tiot, mais ce dernier reste bouché. Que dalle, macache ! Il est pas fait pour être papa, qu'il dit. Tu vas voir si c'est que dalle, mon coco. Moi, je suis une fille têtue et quand j'ai une idée derrière la tête, je l'ai pas ailleurs, pas comme lui qui a toujours les siennes sous les jupes des autres.

     Ce soir, j'ai malencontreusement oublier de prendre le truc qui empêche les bébés. Oups, j'ai fait tomber la boite, je la retrouve plus... héhé, ça arrive à tout le monde, non ? Et comme mon rêve c'est d'avoir une grande famille, je vais pas laisser Casus brider mes désirs sous prétexte que ça l'horrifie de changer une couche ! Après un copieux dîner mijoté par moi-même, avec chandelles, musique et tout et tout, je te me l'attire dans la chambre et roule ma poule ! Triple galipettes avec doublé de salto rebondi, le gars était aux anges. Bon, reste plus qu'à attendre, maintenant.

     Deux jours après le gala-gala façon Athena, rien. Une semaine après, toujours rien. Trois semaines après, encore rien. Bon, j'ai compris, faut recommencer. On va ressortir les petits plats qu'on met dans les grands, puis les ronds de serviettes et les flutes à champagne histoire de mettre l'ambiance. Casus rentre du boulot avant que je me mette aux fourneaux. Il est tout content, le petit père. Il prend même pas le temps de retirer son tablier vert qu'il m'annonce tout net :

     - Ah ! Athé ! C'est magnifique, figure-toi que j'ai eu une promotion !

     Mieux vaut tard que jamais, je me dis intérieureusement. Et puis qu'est-ce que je déteste quand il m'appelle Athé ! Bon, calme-toi cocotte, ce soir est un grand soir... encore. Pendant que je cogite à la façon dont je vais procéder, il continue sur la lancée :

     - Je suis maintenant vendeur de disques, tu te rends compte ? J'ai eu une petite prime, avec ça je pourrais m'acheter une nouvelle paire de chaussures et...

     - Et si on passait à table, je coupe.

     Non mais c'est vrai, on y sera encore dans une heure, s'il continue de bavasser comme ça.

     Et c'est reparti pour un tour. Séance de gounda-gounda et de "yoplaboumviensylàquejtepousse" ! Cette fois, le pauvre Casus est complètement hors-service, après l'exercice nocturne. Il s'endort comme un bienheureux et moi je me dis que c'était pas franchement honnête, ce que je viens de faire. Oh puis, je m'en fiche. Moi, tout ce que je veux, c'est une petite Athena qui soit aussi têtue et insupportable que moi. De toutes façons, Casus se fiche pas mal de sa compagne. Tout ce qui l'intéresse, c'est d'aller vendre des disque à des zonards paumés en écoutant la musique à fond toute la journée avec ses copains. Sans oublier les filles, aussi. Ah ça, on peut dire que je l'aurais remarqué ! Tout ce qui porte un truc court, c'est recta ! Petit regard genre "bonjour ma biche", à tel point que je suis quasi obligée de lui détourner la tête en le tirant par une oreille. Les mecs, j'vous jure...

     J'attends tranquillement trois petites semaines mais là encore, que dalle. Aucun symptome, même le toubib me l'affirme. Ok, encore raté. Nan, mais il a mis quoi, dans son fusil, le Casus ? Il a dû se planter de balle, c'est pas possible autrement. Bon, ce soir, rebelote ! Je le laisserais pas en paix tant qu'on aura pas un gosse dans la chambre vide qu'on a fait exprès pour ça.

     Mais... tiens, tiens, tiens... qu'est-ce que c'est que ça ? Il croit peut-être que je le vois pas, en train de faire du charme à cette brunette ? Si quelqu'un me dit qu'il est simplement en train de lui raconter un secret à l'oreille, je ne réfléchis pas, je tape ! Le bougre doit sûrement croire que je suis encore au boulot. Manque de pot, j'ai eu le droit de quitter la base un peu plus tôt. Il a intérêt à débarrasser cette brune du plancher s'il veut pas que je le fasse à sa place. Pour l'instant, je vais attendre bien tranquillement à l'angle de la rue et faire comme si j'avais rien vu.

     Regardez-moi ça ! Vous avez vu ce que je viens de ramener du boulot ? Bon, ok, je l'ai pas ramené toute seule. Il a fallut trois camions et deux militaires baraqués pour m'aider à installer ça. Mais maintenant, qu'est-ce que je m'amuse avec le parcours du combattant ! Au moins, ça me fait penser à autre chose qu'à Casus et à cette brunette que j'ai repéré quelques jours plus tôt. Depuis, il se tient à carreau, je sais pas pourquoi. Aurait-il remarqué que je l'avais remarqué, aussi est-ce pour cela qu'il essaye de pas se faire remarquer ? Parce que forcément, si je le remarque une seconde fois, il va le remarquer et... Oui bon ok... je me tais. Enfin non, je me tais pas. Je suis toute fière aujourd'hui, parce que je viens de passer sous-officier. Vous vous souvenez du sergent-instructeur qui m'en a fait baver ? Eh bien je me suis vengée, comme j'vous le dis ! Corvée de latrine pendant une semaine. Bon, évidemment, j'ai passé ça sous silence parce que si mon supérieur apprenait que je me sers de mon grade pour me venger, je retournerais éplucher des patates dans les cuisines de la base...