Episode 3 - Un bon début...

     Brenda et moi, nous nous sommes mariés dans le plus grand secret... Remarquez, personne ne nous connait ici, donc secret ou pas, tout le monde se fichait pas mal du nouveau petit couple qui venait de se mettre la bague au doigt. Les sous étant ce qu'ils sont, il n'y a pas eu de robe de mariage ni de beau costume, mais on s'est promis que pour nos enfants, on mettrait les petits plats dans les grands et inviterait tout le quartier pour fêter ça. Bien sûr, quand ce jour arrivera, on aura une grande maison avec étage, balcon et piscine. C'est mon rêve. Une grande famille dans une grande maison. Mais gardons les pieds sur terre, ce ne sera pas pour maintenant, vu les finances catastrophiques. Finalement, heureusement que l'on s'est marié entre nous, Brenda et moi, parce qu'on n'aurait jamais eu les moyens de payer une cérémonie.

     La nuit de noces fut des plus réussies, en tout cas. Je crois même n'avoir jamais passé une nuit pareille. Mais ce n'est pas la peine de sauter sur place, je ne vous dirais pas ce qui s'est passé... Pas dans les détails, du moins. Disons que, comme les jeunes tourtereaux que nous sommes, ce fut... fougueux ! J'entends encore grincer les ressorts du vieux matelas... mais passons... je préfère garder cela sous silence.

     Je me suis mis à la peinture, depuis quelques temps. Je n'ai pour le moment aucun talent mais je ne désespère pas d'en avoir un jour. Ce n'était pas un rêve profond que de peindre sur une toile, c'était juste quelque chose dont j'avais entendu parler. Il parait que les tableaux se vendent à prix d'or, et vu les croûtes horribles que tout le monde achète, je me dis que j'ai ma chance. Bien sûr, Brenda n'est pas tout à fait de mon avis mais elle se garde bien de faire des commentaires. Bien au contraire, elle préfère m'encourager tout en me répétant, afin que je n'oublie pas, que les plus grands artistes sont devenus célèbres après leur mort et qu'il fallait donc que je sois patient ! La patience, je l'ai, mais c'est vrai que je préfèrerais être célèbre avant ma mort plutôt qu'après. Tant qu'à vendre de magnifiques peintures, autant en profiter avant de passer le pinceau à gauche !

     Vous ne devinerez jamais à quel poste je viens d'être propulsé au journal. Je vous le donne en mille : le courrier du coeur ! Et oui ! C'est pas vraiment un sujet que je connais par coeur et mais Brenda est là pour m'aider. Pour un peu, mes articles seraient presque signés de la main de ma femme, mais il vaut mieux se taire de ce côté-là. Ce qui est important, c'est qu'avec cette promotion, j'ai eu le droit à une prime de 400§ et des brouettes, de quoi faire des travaux et agrandir encore la maison. Brenda veut à tout prix qu'on installe déjà la chambre des enfants, elle a même déjà prévu l'endroit où la mettre !

     - Juste à côté de notre chambre ! Oh, Alan ! Ce sera merveilleux d'être réveillé en pleine nuit par les hurlements de nos bébés affamés, tu te rends compte ?

    La seule chose dont je me rends véritablement compte, c'est qu'on aurait finalement dû prévoir un étage dès le début...

     Quelques semaines après ma promotion, j'ai la surprise de constater, en rentrant du boulot, que les entrepreneurs avaient terminé l'agrandissement de la maison. C'est étrange car bien qu'elle soit encore très petite, j'ai l'impression qu'elle est devenue gigantesque. Cette impression est sans doute dûe au fait que j'ai vécu quelque semaines dans un cagibi de deux par trois (en arrondissant largement). Sitôt sorti de la voiture, Brenda m'a tiré par le bras pour me faire faire le tour du propriétaire. La chambre des enfants étaient là où elle l'avait voulu, c'est à dire juste à côté de la notre. Ca me froisse un peu, parce que j'ai peur d'être réveillé toutes les nuits et de ne pas être très frais en allant au boulot, mais finalement, c'est bien moi qui ai envie d'une tripotée de gosses ? Alors j'assume et je laisse Brenda faire à ses idées. Le salon a changé aussi, il a été agrandi, ce qui nous laisse de la place pour mettre la table et pouvoir tourner autour sans se cogner aux meubles (peu nombreux pour l'instant, je vous l'accorde...)

    A propos de meubles, comme j'avais encore un peu de sou sur mon compte en banque, j'ai offert à Brenda une cuisinière à quatre feux, une télévision et une armoire pour ranger le peu de vêtements que nous avons (ou plutôt, les futurs vêtements que nous aurons, voici ce qui serait plus juste). Il fallait voir la tête de ma femme, si contente qu'elle ne pouvait plus dire un mot !

     Ce matin, avant que je parte pour le travail, Brenda m'a fait part de quelque chose. Depuis quelques temps, elle commence à souffrir de devoir rester dans les mêmes vêtements. Je la comprends parfaitement, même moi j'en assez assez de porter toujours la même chemise que l'on doit laver en quatrième vitesse si on veut qu'elle soit sèche avant de partir au boulot. Brenda aime bien son petit pull rose et blanc, mais elle préfèrerait une robe, ou un ensemble dans lequel elle serait plus à l'aise. Il aurait fallu que je lui dise non, parce que nous n'avons pas les moyens, mais son regard éploré me brise le coeur. Oh puis, après tout, pourquoi pas ! Il reste 350§ sur mon compte et d'après ce que j'ai vu en passant par le centre ville cette semaine, un ensemble n'en coûte que 200. Et comme le salaire tombe tous les jours, je pense que je peux me permettre de lui faire ce petit cadeau.

     Comme promis, j'ai ramené à ma Brenda un petit cadeau qu'elle n'est pas prête d'oublier. Non seulement je lui ai offert un petit ensemble léger qu'elle adore, mais j'ai rajouté un petit collier pour lui prouver à quel point je l'aime. Elle était si heureuse que deux heures après, elle me remerciait encore. Pour moi, je n'ai rien pris. Non par parce qu'il n'y avait rien (au contraire, les fringues étaient plutôt cools, pile ce que j'aime) mais j'ai préféré me sacrifier pour offrir ce collier à Brenda. Que voulez-vous, je suis comme ça, moi... quand il y a des cadeaux à faire pour ceux que j'aime, je me déplumerais jusqu'aux os pour leur offrir...

     Parfois, les jours se succèdent sans que l'on y prenne garde. Depuis des semaines, Brenda s'entraine comme une forcenée pour être au top de sa forme, car elle est maintenant monitrice de rafting. Je n'ai pas trop compris ce que c'était que le rafting et Brenda m'a promis qu'elle m'emmènerait voir, un jour. Je ne lui ai évidemment pas dit que j'avais peur de l'eau, elle serait encore capable de rire et de me traîner jusqu'aux rapides les plus proches  en me disant qu'il n'y avait rien de mieux qu'un plongeon pour surmonter sa peur. Le hic, c'est que le plongeon pourrait avoir ma peau... puisque naturellement, je ne sais pas nager.

     De mon côté, je continue à peindre pour m'entrainer. Mine de rien, c'est que mes tableaux commencent à prendre forme, à force. Ce ne sont plus ceux des débuts, avec un rond et deux batons en guise de bras. Non, maintenant je dessine un corps complet ! Bon, d'accord, il vaut mieux que ce soit les myopes qui le regarde, et sans lunettes de préférence. Mais je ne me décourage pas, un jour j'y arriverais ! C'est d'ailleurs ce que me dit tout le temps Brenda :

     - Tu sais, mon chéri, il viendra un jour où, à force de t'entrainer, tu deviendras aussi fort que Simcasso !

     Simcasso ? Je savais pas que mes peintures étaient considérées comme de l'art abstrait... c'est vexant, d'un coup...